Apports De La Recherche Dans La Lutte Contre Le Sida En Afrique

19 Dec

5 décembre 2003

Luc Montagnier*

On aurait tort de croire qu’après les vingt ans de recherche qui ont suivi l’isolement du virus causal, tout est connu dans le domaine du VIH et du Sida.

En fait il y a encore beaucoup de mystères, sinon sur le virus lui-même, du moins sur la pathologie à laquelle il est associé:

1) Il s’agit d’une pathologie chronique qui dure des années, chez les patients Africains comme chez les Européens et Asiatiques. Après le pic de multiplication virale qui accompagne la primo-infection, commence une longue période asymptomatique – mis à part des lymphadénopathies – où le virus disparaît de la circulation sanguine du fait de la réaction immunitaire, mais persiste dans les ganglions lymphatiques et peut-être dans d’autres tissus et cellules. Concomitamment, commence un déclin du système immunitaire portant principalement mais non exclusivement sur l’immunité cellulaire dépendant des lymphocytes T CD4+, qui aboutit finalement à une phase clinique d’infections opportunistes et de cancers qui entraînent la mort. La trithérapie antirétrovirale a permis de raréfier de façon spectaculaire la survenue de cette dernière phase en réduisant la multiplication virale par un facteur de 100 à 1.000 en quelques mois et en permettant une restauration au moins partielle du système immunitaire, mais sans parvenir à éradiquer l’infection.

2) En effet, un des problèmes majeurs non résolus est la persistance d’un réservoir viral résistant à la trithérapie. Dès que cette dernière est interrompue, le virus recommence à se multiplier dans les lymphocytes-T CD4+ (Fig. 1). La nature de ce réservoir n’est pas élucidée et de multiples hypothèses ont été avancées: lymphocytes-T contenant le virus à l’état latent sous forme de DNA proviral, monocytes-macrophages, cellules NK, etc. Nous pensons qu’il pourrait aussi être constitué par des cellules d’autres tissus, ne possédant pas les récepteurs classiques du virus, mais qui auraient pu être infectées par des pseudo-types du virus faits d’une enveloppe non virale, d’origine bactérienne par exemple (Fig. 2). Effectivement nous avons montré qu’une forme hyperinfectieuse du virus ayant des propriétés physiques différentes de celles des particules virales libres, pouvait être isolée du plasma de patients traités par la trithérapie et ayant une charge virale indétectable par les techniques moléculaires classiques. In vitro certaines espèces connues de mycoplasme peuvent effectivement apporter leur enveloppe à des particules virales, les rendant très infectieuses.

3) L’existence de tels pseudo-types peut aussi bouleverser les projets de vaccins, tant préventifs que thérapeutiques. En effet, si ces pseudo-types jouent un rôle dans la transmission sexuelle du virus, ils échappent à toute immunisation qui ne concernerait que l’enveloppe native du virus ce qui est le cas des candidats-vaccins déjà essayés.

4) Une autre raison d’échappement du virus aux candidats-vaccins, celle-ci très classique, est la variabilité des régions les plus immunogènes de l’enveloppe, qui permettent au virus d’échapper par une seule mutation au pouvoir neutralisant des anticorps ou aux cellules T-cytotoxiques. De ce point de vue, on ne comprend pas l’entêtement scientifique et financier des fabricants de ces vaccins à utiliser l’enveloppe du virus à l’état natif. Des millions de dollars sont ainsi dépensés en pure perte.

Or la solution existe: c’est de changer la conformation de la protéine d’enveloppe de façon à exposer ses régions les moins variables au système immunitaire ou d’utiliser des peptides correspondant à ces régions conservées. Les résultats pre-cliniques montrent que effectivement de telles modifications permettent d’induire des anticorps ayant un large spectre de neutralisation des souches virales.. Il est hautement regrettable que de tels projets aient été rejetés par les instances de la Commission européenne et par les sociétés pharmaceutiques, au profit de projets beaucoup plus conservateurs, et de ce fait soient retardés dans leur développement. D’autres protéines virales dont la neutralisation permettrait d’effacer le pouvoir pathologique du virus, telles que Nef et Tat, devraient être également incluses dans un vaccin efficace. Or là aussi, alors qu’il existe un projet permettant de neutraliser la protéine Tat de beaucoup de souches virales, ce projet semble être exclus du financement par les instances de la Communauté européenne !

5) Enfin un des problèmes majeurs non totalement résolu de la pathogénèse du Sida, reste l’explication de la mort massive des lymphocytes T4. Contrairement à ce que l’on croyait il y a quelques années, cette disparition, qui existe dès la période asymptomatique, n’est pas due à l’infection directe des cellules par la souche virale, qui est alors peu cytopathogène, mais à des mécanismes indirects touchant les cellules CD4+ non infectées; celles-ci ont une propension à mourir d’apoptose, comme d’ailleurs les cellules CD8+. En fait, toutes les sous-populations immunitaires sont touchées par ce phénomène, bien que ce soient les CD4+ qui disparaissent en nombre. Un des médiateurs de cette apoptose est l’existence d’un fort stress oxydant caractérisé par une prévalence de molécules oxydantes (radicaux libres) sur les défenses antioxydantes de l’organisme: ainsi le taux de glutathion oxydé est-il très élevé, de même que celui des LDL (Low density lipoproteins) oxydées.

Ces anomalies ne disparaissent pas totalement après traitement antirétroviral, suggérant qu’elles méritent d’être corrigées par la prise d’antioxydants appropriés; Des études préliminaires indiquent que ce stress oxydant est plus fort chez les patients africains et existe même chez les individus non infectés, du fait d’une malnutrition.

Au vu de toutes ces considérations, que faire en Afrique, sachant que la sero-prévalence de l’infection à VIH est énorme par rapport aux pays du Nord (entre 10 et 30% contre 0,1 à 1%) ?

A notre avis, l’institution des traitements antirétroviraux -ô combien indispensable pour garder en vie les plus atteints- doit être accompagnée de la création de structures capables d’un suivi médical et biologique pouvant irradier en unités mobiles dans les villages. D’autre part, étant donné les effets partiels de la trithérapie, ses effets toxiques à long terme, la possibilité d’émergence de virus mutants résistants surtout en cas de mauvaise observance, il est nécessaire d’entreprendre des essais cliniques de traitements complémentaires.

Ces traitements complémentaires peuvent être constitués par des antioxydants et des immunostimulants donnés en même temps que la trithérapie, de façon à augmenter les capacités de reprise du système immunitaire. Celles-ci peuvent alors être mises à profit pour entreprendre une vaccination thérapeutique, immunisation contre la protéine de surface modifiée et les protéines, Nef et Tat. Une interruption de la trithérapie pourra alors être effectuée, permettant de juger rapidement de l’efficacité de l’immunisation par l’absence de rebond de la multiplication virale. Pour des personnes infectées par le VIH en période précoce et non éligibles pour la trithérapie, le traitement antioxydant + vaccination thérapeutique suffira peut être à empêcher le déclin de leur système immunitaire. Là aussi, des essais cliniques sont nécessaires pour mettre eu point les meilleures formules.

L’idéal serait de proposer ce type de traitement à toute personne venant se faire dépister et testée VIH positive. Ainsi l’on pourrait coupler dépistage et traitement et destigmatiser la séropositivité, un problème crucial en Afrique. Ceci aurait également un impact sur la transmission du virus, donc sur l’épidémie, les personnes traitées étant moins infectieuses et pouvant acquérir un comportement de responsabilité. Enfin, la meilleure formule de vaccin thérapeutique pourrait être appliquée à un vaccin préventif, celui-ci devant prendre en compte l’immunisation au niveau des muqueuses génitales et être dirigé également contre les vecteurs microbiens de la transmission du virus. Un renforcement des défenses immunitaires des personnes séronégatives exposées (partenaires) pourrait également être obtenu par une combinaison d’antioxydants et d’immunostimulants.

Quant à la transmission verticale du virus de la mère infectée à son enfant, elle peut déjà être considérablement réduite par un traitement court de la mère par la Nevirapine. Des traitements complémentaires visant à réduire encore davantage cette transmission peuvent être proposés en essais cliniques. D’autre part l’infection du nouveau-né par l’allaitement maternel pourrait être réduite par une vaccination appropriée associant le BCG à de peptides ou protéines recombinantes du VIH. Ce dernier projet fait l’objet d’une collaboration entre le laboratoire du Prof. Colizzi à Rome, celui du Prof. Gallo à Baltimore et notre Fondation.

En conclusion, les solutions de la recherche existent pour diminuer l’épidémie de Sida en Afrique. Mais paradoxalement ces solutions ne sont pas financées dans leurs développements cliniques. L’Europe en porte une large responsabilité.

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